L’art du papier
extrait du livre « L’art du papier mâché » de Juliet Bawden
Une forme de papier mâché a d’abord existé en Chine, avant que des techniques plus efficaces soient inventées en Europe.
L’Orient : Ce sont les Chinois qui, au IIème siècle de notre ère, inventent le papier. De ces lointains précurseurs, naîtra notre industrie de la pâte qui servira aussi à fabriquer du carton. Ils façonnent en papier mâché des casques guerriers qu’ils renforcent de laque. Sur les plateaux des montagnes de Port-Arthur en Mandchourie, dans le territoire de Kwantung, Uyuzo Torii découvre en 1910 les vestiges de couvercles de quelques récipients, décorés eux aussi de laque rouge, attribués à la dynastie Han (env. 206 ap. JC).
Au VIIIème siècle, la Chine en guerre avec la Perse et des artisans chinois, capturer puis envoyer Samarcande alors aux mains des arabes, leur apprennent à fabriquer du papier avec de vieux filets de pêche, des chiffons et autres déchets organiques, processus qui les mènera plus tard au papier mâché. De Samarcande, l’invention se propage vers le Maroc, via Damas, gagne le Nord, remonte par l’Espagne, la France et l’Allemagne. Vers la fin du Xème siècle, le papier a un peu partout remplacé le papyrus.
Il reste communément admis que les Italiens découvrirent la carta pasta (papier mâché), par le biais du commerce vénitien dans ses échanges avec l’Orient. Ils le transmettront à la Perse et à l’Inde. Aux XVIIIème et XIXème siècles, assiettes, cadres de miroirs, jouets ainsi que toute une panoplie de petits objets jaillissent d’industries populaires développées dans ces deux pays. L’Inde, fortement influencée par le style florentin, les couvre alors de fins motifs, de fleurs et de feuillage. Ce type de décor a probablement été introduit au Cachemire au XVII ème siècle, époque où fut construit le célèbre Taj Mahal.
LaFrance : Dès la seconde partie du XVIIème siècle, les artisans français, les premiers en Europe, perçoivent tout l’intérêt commercial qu’ils peuvent tirer de ce recyclage. Les importations du papier mâché en provenance d’Extrême-Orient, de Chine ou du Japon, pénétrant l’Occident en quantités sans cesse croissantes, favorisent alors cette inspiration qui gagne rapidement l’Angleterre vers les années 1670.
Cependant, contrairement à la porcelaine qui avait suivi le même chemin l’occident met plus de temps à adopter ce nouveau procédé. Au début du XVIIIème siècle, il fait son entrée dans les décors architecturaux, manteaux de cheminées, moulures au plafonds richement dorés, bas-reliefs. De plus en plus sollicité vers le milieu du siècle, le papier mâché s’introduit dans le domaine de l’éclairage, avec des « bras de lumière » destinés à porter les chandelles, et permet d’équiper des maisons entières à moindre frais. La France fait figure d’innovatrice en la matière et lancera même plus tard la mode des meubles et des ouvrages de piété en « papier estampé ». L’Angleterre la rejoindra quelque 5 ans plus tard et réservera ensuite une très grande place au matériau. Mais revenons vers les années 1750. Les manufactures de papier mâché se lancent alors dans la production en série d’articles usuels.
Les tabatières restent un exemple typique du genre en France. Les « boîte à priser », jusqu’ alors en métal ou en bois, empruntent désormais la technique de la pâte à papier recouverte de vernis Martin inventé par Guillaume Martin et ses frères en 1740 pour imiter la laque de Chine.
Nombre d’affiches et de programmes de théâtre périmés entreront dans la composition des objets de piété.
Les meubles connaissent leur jour de gloire dans les années 1840 à 1880 en France, mais aussi en Amérique et surtout en Angleterre, qui sortira de ses ateliers les plus belles pièces de ce mobilier.
L’Allemagne : Les Français exportent la mode des tabatières en Allemagne au début du XVIIIème siècle. On raconte que Frédéric Legrand en possédait une dans chacune des pièces de son palais ! En 1765, il fait venir un dénommé Chevalier pour fonder une fabrique de papier mâché à Berlin. Très simples et d’aspects assez grossiers, les tabatières Allemande n’en ont pas moins de succès.
Georges Sigmud Stobwasser, Un habile artisan, reste très connu pour ses boîtes de forme ronde avec fond et couvercle plat. En 1763, âgé seulement de 23 ans, il ouvre une fabrique sous les auspices du duc de Brunswick.
En 1883, un horloger de Dresde démontre la grande souplesse d’utilisation du matériau (et là prodigieuse adresse de « l’homme de l’art ») : Il réussit en effet à construire une montre exclusivement composée de papier, Aussi solide et aussi fiable que n’importe quelle montre métallique, se plaît il a remarqué.
Mais l’Allemagne s’inscrit davantage dans l’histoire du papier mâché avec ses têtes de poupée au XIXème siècle, produites en grand nombre, de facture très détaillée, solide et parfois même sophistiquée.
LaRussie : l’industrie du papier mâché débute en 1830 et se propose d’imiter l’artisanat du reste de l’Europe. La Russie utilise la méthode chinoise de l’art de la porcelaine, parfois aussi employé en Occident. Plusieurs épaisseurs de papier, soumises à la chaleur, étaient formées sur des moules en bois, puis saturées d’huile de lin à 3 reprises. On colorait ensuite les pièces avec un mélange d’argile rouge, de suie et d’huile, avant de les sécher, de les recouvrir de laque et enfin de les polir.
Ce type de vernis apparaît pour la première fois chez les artisans dans la campagne de Fedosjino, près de Moscou qui, déjà, commence à y peindre des motifs traditionnels. Entre 1825 et 1830, la famille Lukutin se lance dans la production en masse de tabatières, d’étuis à cigarettes, de coffret en tout genres, de plateaux à thé ainsi qu’une foule d’autres articles usuels, qui les propulsent à la tête du marché.
L’Angleterre : Les objets laqués en papier mâché suscitent un très vif intérêt aux XVIIème et XVIIIème siècles en Angleterre qui en donne la recette dans de nombreux livres et revues. Une grande partie du XVIIIème se concentrera principalement sur la production de petites consoles dorées, de bras de lumière et de boîtes. Vers 1740, s’ouvre de nombreuses manufactures de papier mâché, notamment à Birmingham et à Wolverhampton, dans la province des Midlands, chargé de reproduire les « laques » importés du Japon, article de papier mâché de décor oriental revêtu de nombreuses couches de laque, très dure et particulièrement brillante.
LesLaques du Japon : De 1720 jusqu’à 1820 et au-delà, l’Angleterre connaît sa période japonisante, de façon plus ou moins intense salon les années, qui remet au goût du jour les reproductions d’art oriental. Yvonne Jones parle de cette renaissance dans un catalogue consacré à une exposition de ce genre. Cette passion coïncide avec l’essor du papier mâché, projeté sur le devant de la scène grâce au brevet pris par Henry Clay en 1772. Des feuilles de papier genre buvard étaient collées l’une sur l’autre pour obtenir de solides panneaux appeler paper ware avant d’adopter l’expression française de « papier mâché ». Ce matériau ainsi perfectionné, résistant à la chaleur, pouvant recevoir de la laque sans rien perdre de sa forme et sans risque de se craqueler, remplaçait avantageusement le bois ou le métal. on l’applique désormais à toutes sortes de choses : toits ou portes de carrosses que l’on recouvre d’épais vernis, roues d’équipages, chaise à porteurs, bibliothèques, manteaux de cheminées, paravents, tables et plateaux à service, qui doivent leur succès à la mode orientale combinée à la remarquable technique de Henry Clay.
Les dictionnaires d’art et de sciences se multiplient, donnant tous une parfaite description du procédé. En 1758, Robert Sayer publie un volume de ravissantes estampes réalisées par Jean-Baptiste Pillement et d’autres artistes qui serviront de modèles pour décorer des objets très variés.
Lepapier maché dans l’architecture : Parallèlement à l’industrie des laques, le papier mâché était aussi entré dans l’architecture du XVIIIème siècle, mais il ne fait en ce domaine sa véritable percée qu’au XIXème siècle grâce à 2 entreprises londoniennes : Jackson and Son, et Charles Frédéric Bielefeld.
La première avait pour fondateur George Jackson qui, en 1765, travaillait déjà chez Robert Adam à la fabrication de moules en bois. le nouveau matériau avait donc pris une telle importance que celui-ci transpose son savoir-faire pour se concentrer désormais sur les embellissements de plafonds et autres ornements.
Charles Bielefeld dirigeait la 2nde manufacture. Inventeur et industriel, il brevète, en 1846, des panneaux de papier mâché mesurant 1,80m x 2,50m et 1mm d’épaisseur. Ces derniers offrent une grande robustesse et une bonne isolation au bruit ; on en vante aussi la performance du décor peint, plus durable dit-on que la toile. Ils servent à la construction de cloisons étanches ou de séparateurs de cabines dans quelques bateaux à vapeur et wagons de trains présentés lors de l’exposition universel de Londres en 1851. Cependant, le lotissement de 10 maisons préfabriquées reste sans aucun doute l’une des plus passionnante application de Bielefeld dont le mandataire, un certain Mr Seymour, projette alors d’émigrer en Australie et d’y construire un village. Une fois les bâtisses élevées provisoirement sur le terrain de l’usine, des pluies diluviennes y causent une belle inondation, mais les maisons résistent fort bien, plongées dans 60 cm d’eau ! On suppose qu’il durera très longtemps car une cathédrale de Papier mâché, érigée près de Bergen en Norvège en 1793, ne dut sa disparition qu’à une démolition 37 ans plus tard !
On dort plus qu’on ne laque les décors architecturaux créés pendant cette période. Consoles, coffrets, moulures, cadres de miroirs et girandoles se réalisent à partir de pâtes dont la légèreté peut convenir aux ornements de plafonds mais qui, plus fragile, ne supporte pas la laque excepté sur des articles de taille réduite tels que les tabatières.
Les manufactures d’objets en papier mâché comprennent à cette époque différents ateliers, chacun chargé d’exécuter une étape du processus. Le premier s’occupe du traitement et renferme le large bac rempli d’huile de lin et divers produits entrant dans la composition du goudron où l’on plonge de grandes feuilles de papier blanc pour les protéger des coléoptères et autres parasites. On fabrique la pâte dans de vastes cuves de cuivre à partir d’un mélange d’eau, de farine et de glu que l’on fait bouillir. La confection proprement dite est réalisée par second atelier qui emploi uniquement des ouvrières, parfois très jeunes. Le papier arrive en rame de 91 x 122 cm. Elles le découpent tout d’abord aux dimensions De l’objet pour ensuite en recouvrir un moule préalablement graissé. Ce travail, long et pénible, demande plusieurs opérations : le garnissage du moule, avec un papier encollé recto verso pour la première couche, puis la superposition de 10 à 120 feuilles imbibées d’un seul côté, dont on lisse chaque fois la surface avec une truelle pour en ôter les bulles et autres irrégularités, les bords se façonnent à la main. Toutes les 3 épaisseurs, parfois plus, la préparation doit être cuite au four à une chaleur de 38 à 49°C et les contours corrigés à l’aide d’une lime douce avant de procéder une deuxième application, jusqu’à obtenir l’épaisseur requise qui dépend du traitement et de la destination de l’article.
Après séchage, on sature la pièce d’huile de lin avant de la passer à nouveau au four à une température de 93 à 127°C, cette fois pendant un jour et demi. Ces 2 étapes rendent le matériau dur, robuste, imperméable et sa couleur virent du gris au brun.
La méthode la plus courante, mais non la meilleure, consiste à déchiqueter le papier et en faire une pâte qui s’apparente à l’argile que l’on comprime dans des moules avec une presse hydraulique. Les formes obtenues passent ensuite aux mains des peintres et des doreurs.
LesEtats-Unis : On sait que Jennens and Bettridge à Birmingham en Angleterre et probablement d’autres entreprises de la région exportaient des articles papier mâché vers les États-Unis. George Washington lui-même adressera une commande à Londres pour décorer les plafonds de 2 pièces à Mount Vernon.
En 1850, la Litchfield Manufacturing Company établit sa fabrique sur les bords de la rivière de Litchfield, dans le Connecticut. Elle emploie entre 50 et 80 hommes et femmes, répartis dans 4 ou 5 bâtiments, dont le plus grand possède 3 étages de 360m² chacun ! elle fait venir des spécialistes d’Angleterre pour diriger le travail et enseigner l’art de la laque et du décor peint. Venus de Wolverhampton ou Oxfordshire, ces ouvriers gagnent entre 6 et 10 dollars par jour dans un environnement propre et agréable, soit un salaire bien plus élevé que les 30 ou 60 shillings qu’ils perçoivent dans leur pays pour des semaines de 66 h de travail. il confectionnent des porte-lettres, des porte-cartes de visite, des paravents, des bobines. en 1851, la société se concentré sur les boîtiers de pendules de papier mâché, laqués de noir, ornés de peintures, d’or et de nacre. L’horlogerie constitue l’industrie majeure du Connecticut et la Litchfield Compagny n’a aucun concurrent dans son domaine. On a critiqué le défaut du vernis qui présentait une surface granuleuse due à un manque de polissage. Néanmoins, ces articles possèdent une fraîcheur et une originalité très particulières.